samedi 28 septembre 2013

Demain on soigne gratis

  Notre chère Ministre de tutelle madame Marisol Touraine a enfin (un an après sa nomination, et après plusieurs quinquennats passés dans l'opposition à préparer son programme...) présenté lundi dernier sa "Stratégie Nationale de Santé". Je n'ai pas encore eu le temps de prendre connaissance de l'intégralité du contenu du document, mais une chose me frappe: ce qui est surtout mis en avant par les médias, aidés en cela probablement par le service de communication de son cabinet, c'est la généralisation du tiers-payant des honoraires médicaux promise pour 2017.
  Ainsi que je l'ai écrit tout récemment, les municipales approchent et le principal souci de nos politiques (pour ne pas dire politicards) est de récolter des voix. Pour cela, un moyen dont l'efficacité n'est pas contestable est d'arroser. Il existe deux façons d'arroser: l'arrosage direct et l'arrosage indirect. On a vu, de tous bords d'ailleurs, des élus-candidats peu scrupuleux promettre, parfois même verser des subventions plus ou moins légitimes, plus ou moins plantureuses, à tel ou tel groupe de personnes pour essayer d'en influencer le vote. C'est une manière certes fructueuse, mais un peu fruste de procéder. Puis il y a les promesses de lendemains qui chantent.
  La généralisation du tiers-payant est à mes yeux de ceux-là.
  Je crois difficilement contestable de supposer que le patient potentiel -et chacun des Français en est un- est peu ou prou ravi de ne pas avoir à avancer les frais médicaux. J'en veux pour illustration mon expérience personnelle, que mes confrères infirmeront s'ils ont vécu le contraire: je ne compte plus le nombre de patients qui me disent: "je suis à 100% pour tout, docteur, pour TOUT !" en réclamant le tiers-payant intégral alors qu'ils ont une mutuelle qui les rembourse de l'intégralité du montant de mes honoraires. C'est parce qu'ils préfèrent ne pas avoir même à sortir le moindre centime de leur poche. Naturellement, tous ne sont pas comme ça, mais comptez donc ceux qui au contraire vous disent: "Ah mais j'insiste pour vous payer, docteur" lorsqu'ils sont éligibles au tiers-payant.
  Je sais bien qu'il existe des études qui ont semblerait-il établi que la dispense d'avance de frais médicaux n'augmente pas la demande de soins. Mais ayant un cerveau plutôt basique, j'ai raisonné de la façon suivante: sauf erreur de compréhension de ma part, le tiers-payant est mis en avant comme moyen de rendre meilleur l'accès aux soins médicaux. Donc, on part de l'hypothèse que certains patients renonçaient à se faire soigner parce qu'ils n'étaient pas en mesure d'avancer les frais médicaux correspondants, même en sachant qu'ils seraient ensuite remboursés. Donc, si le tiers-payant atteint son objectif, ces patients pourront bénéficier d'une consultation là où il n'y en avait pas auparavant. Ces consultations viendront en sus du nombre des consultations qui ont lieu avant l'instauration du tiers-payant: la demande de soins a bel et bien augmenté, et d'ailleurs le volume de soins effectivement délivrés aussi. On peut arguer qu'ainsi la population serait mieux soignée: certes. Mais on peut difficilement arguer que ça n'augmente pas le volume total des dépenses maladie en ville...
  Il y aurait aussi pas mal à dire sur ce que le tiers-payant intégral et systématique installe comme conception de la valeur de l'acte médical chez la majorité des patients, mais d'autres confrères l'ont déjà fait avec talent.

  Bref, croire que demain on rasera -oh pardon "soignera"- gratis, c'est du même ordre d'idée que compter sur le fameux "hier confiture, demain confiture, mais aujourd'hui pas de confiture" d'Alice. Après, tout dépend du sens qu'on donne au vocable "gratis"...

mardi 24 septembre 2013

Serons-nous #PrivésDeMG ?

  Attention double sens ;-) comme souvent dans ce que j'écris.

  Le buzz actuel sur la blogosphère des MG porte sur l'opération lancée par le "club des 24" qui avait lancé il y a un an le manifeste ayant déclenché l'invitation de MST pour un petit-déjeuner "de travail" qui au final n'a débouché sur rien de concret douze mois plus tard.
  Le club des 24 s'est élargi et semble devenu le club des 86. Leur hashtag qui était #PrivésDeDésert est devenu #PrivésDeMG.
  A l'époque se tenaient des négociations qui se sont soldées par la signature au forceps -presque sous la contrainte, d'une certaine Marisol Touraine- de l'avenant n° 8, renié depuis par la FMF suivie par le SML. Je me souviens avoir ressenti un certain scepticisme devant l'enthousiasme des 24 car il me semblait que cette invitation au ministère n'était rien d'autre qu'une manoeuvre de communication de la part de celle qui cristallisait l'hostilité la quasi-totalité du corps médical contre elle suite à l'avenant n° 8. Je me souviens avoir aussi défendu l'idée que malgré tout le contenu de ce manifeste avait le mérite de poser des propositions concrètes sur la table, susceptibles d'être reprises et améliorées.
  Je me souviens avoir pensé tout au long des douze mois qui ont suivi ce premier buzz #PrivésDeDésert que l'inertie de MST était plus que suspect, et que le soufflé retombait aussi vite qu'il était monté.
  J'ai éprouvé un certain plaisir à constater que les 24 ont de la suite dans les idées, et que la pression médiatique est à nouveau remise à l'ordre du jour contre celle qui les a menés en bateau depuis le début.
  Mais je ne peux me départir de mon scepticisme en constatant que le hashtag #PrivésDeMG est surtout repris sur la twittosphère par des médecins, et très peu par les twittos non-médecins. Et ce d'autant plus que ce "club des médecins blogueurs" met en avant leur pool commun de followers dont le nombre dépasserait les 100000. Que font donc ces fameux followers au moment où il leur suffit de tapoter quelques lettres au clavier pour soutenir cette actions ? Ils préfèrent rester silencieux.
  Je me suis demandé, comme je l'ai demandé à un certain nombre de mes patients il y a quelques temps, si l'ensemble de la population française se rend compte que ce combat est celui qui défend aussi leurs intérêts.
  En tout cas, il me semble que la clef de la réussite de cette opération se trouve là. Il faut parvenir à convaincre nos patients que dans ce combat nos intérêts vont dans le même sens que les leurs, et que nous avons besoin de leur soutien pour le remporter, et surtout que si le combat est perdu ils seront réellement #PrivésDeMG à une échéance pas si lointaine, en tout cas de médecins de famille dans sa forme actuelle.
  Et il faut ensuite donner voix à ce soutien des patients, parce qu'il ne faut pas se faire d'illusion: nos politiques ne font pas les choses parce qu'elles sont justes, ils le font parce qu'ils pensent que ça leur attirera la sympathie -et les bulletins de vote- de leurs électeurs.