mercredi 22 mai 2013

Reverse-engineering


  A la fin d’un de mes billets précédents, j’avais promis de livrer ma vision de ce que pourrait être un système amélioré de rémunération des professionnels de santé. Depuis, c’est une idée qui me travaille mais dont l’examen de plus en plus attentif révèle l’ampleur considérable du sujet. Avant d’en venir là, je pense avoir besoin de quelques réflexions préliminaires.
  Une de ces réflexions m’est venue en tombant sur le slogan d’une marque de montre qui affiche : « To break the rules, you must first master them. » Le slogan fait écho dans mon esprit à ce que je souhaite donner comme… ambiance à toute ma production « bloggistique », à savoir exposer une vision qui ne se borne pas à rester dans le paradigme établi. Je l’ai donc saisi comme point de départ et les associations d’idées m’ont petit à petit amené vers des sujets me reliant directement au sujet de la rémunération des médecins.
  Tout d’abord, j’ai repensé à ce petit passage de ce que les connaisseurs de Science-Fiction considèrent comme le chef-d’œuvre d’Isaac Asimov, sa trilogie « Fondation », passage que je vous retranscris ci-après, en espérant susciter chez certains l’envie d’aller découvrir ce livre que j’affectionne particulièrement.
  « Seldon tira d’une poche de sa ceinture son bloc à calcul. On dirait qu’il en avait toujours un sous son oreiller pour s’en servir en cas d’insomnie. Le bloc avait perdu à l’usage un peu de son brillant. Les doigts de Seldon pressèrent les touches de matière plastique disposées sur les bords de l’appareil. Des symboles mathématiques se détachèrent en rouge sur la surface grise.
<…>
A mesure qu’il parlait, de nouveaux symboles apparaissaient sur le petit tableau pour venir s’adjoindre à la fonction primitive, qui s’étendait et se modifiait sans cesse.
Gaal n’interrompit Seldon qu’une fois :
- Je ne vois pas l’intérêt de cette transformation.
Seldon répéta celle-ci plus lentement.
- Mais, dit Gaal, vous utilisez une socio-opération interdite !
- Parfait. Vous avez l’esprit vif, mais pas tout à fait assez. Elle n’est pas interdite dans ce cas là. Je vais recommencer en utilisant la méthode d’expansion.
Ce procédé était beaucoup plus long, et, quand Seldon eut terminé le calcul, Gaal reconnut humblement
- Ah ! Oui, je comprends maintenant. »
  Ce que j’ai retenu à travers ce passage, c’est qu’il est possible, pour des raisons d’efficience, de faire des opérations apparemment interdites mais qui en réalité ne le sont pas dans des cas particuliers, néanmoins que ce « raccourci » (un petit clin d’œil à l’intitulé pas si anodin de mon blog) nécessite une parfaite maîtrise des règles qui sous-tendent le système.
  Il y a des tas d’autres passages comme celui-là, dans la trilogie Fondation, Fondation et Empire, et Seconde Fondation, qui sont pour moi des points de départ pour des réflexions pouvant nous mener vers des contrées exotiques où peut s’épanouir la « pensée orthogonale » (un petit billet ultérieur est en préparation). C’est ce que j’aime dans ces œuvres d’Asimov, et aussi dans beaucoup d’autres des grands auteurs de Science-Fiction : la mise en situation de notions qui ouvrent la pensée, en brisant le carcan du réalisme. (Il faudra sûrement que j’en fasse un billet un jour ;-) ).
  Mais pour en revenir au slogan, qui nous incite implicitement à « briser les règles », j’ai trouvé qu’il sonnerait bien dans un texte qui se propose de « changer de paradigme ».
  Encore deux petites choses à propos de ce slogan. Je trouve que le créatif qui l’a conçu dans le cadre de la communication pour sa marque de montre aurait pu faire mieux. Ainsi que le disait Saint-Exupéry qui est un autre de mes auteurs préférés, « La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer ». J’aurais donc préféré la formulation « To break the rules, first master them » : plus courte, davantage d’impact. Ensuite, la traduction qui en est fournie dans la page publicitaire consiste en « Pour briser les règles, il faut d’abord les maîtriser. », alors que ma préférence pour la compréhension de cet aphorisme irait plutôt vers « Pour s’affranchir des règles, on a d’abord besoin de les maîtriser. »
  Cette version traduite illustre l’approche que je souhaite adopter devant la problématique de la rémunération des médecins. A ce qu’il me semble, et à en juger par les différents échanges qui ont cours actuellement un peu partout sur le Net (blogs, Twitter, sites d’information, etc…), la rémunération n’est qu’un symptôme du malaise grandissant qui touche l’ensemble du système de santé français (longtemps réputé comme l’un des meilleurs du monde…). Or, notre ministre de tutelle Mme Marisol Touraine paraît avoir pris le problème par le petit bout de la lorgnette, en faisant de la répression des « dépassements d’honoraires » (terme qu’il faudrait remplacer par un vocable plus fidèle à la réalité des choses, mais rien que cela mériterait un billet à part entière) son principal cheval de bataille lors de sa prise de fonction il y a un an déjà –et avec un résultat calamiteux quand on voit le résultat sur les dépassements exorbitants des hospitaliers (aucun changement) ainsi que les réactions suscitées par l’avenant 8. A sa décharge, il est vrai que le problème est assez inextricable pour qui n'a pas à sa disposition tout un cabinet ministériel composé de brillants experts (ah, on me signale qu'elle en a un, justement...), mêlant de nombreux sujets notamment la désertification médicale, le poids sans cesse croissant du budget de la Sécurité Sociale (qui ne provient pas uniquement des dépenses de santé mais également de dépenses de fonctionnement pour le moins sous-optimales), une désaffection grandissante pour l’exercice libéral surtout en médecine générale, le reste à charge pour les usagers toujours plus lourd, une équité devant l’accès aux soins qui s’effiloche, etc… En tout cas, je doute qu’on puisse modifier le système actuel de rémunération des professionnels de santé de façon équitable en faisant abstraction de toutes ses répercussions sur le fonctionnement global du système de santé français sans générer des distorsions supplémentaires. Mon impression est de me trouver devant un ensemble de rouages extrêmement complexe qui grince de toutes parts, avec la conviction que toute modification d’un rouage entraînera un réarrangement de tous les autres, et qu’il serait plus sage d’en démonter virtuellement le mécanisme afin de le comprendre au lieu de tenter des bricolages dans un recoin ou un autre.
  Changer de paradigme, s’affranchir de ce système désormais inadéquat, commence par une sorte de « reverse-engineering », déconstruire pas à pas le système actuel pour en pénétrer tous les détails de fonctionnement. Les analyses issues de cette démarche pourront aussi avoir leur utilité pratique, pour éclairer tous les usagers qui se sentent perdus lorsqu’on leur parle de « parcours de soins ».

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